samedi 3 juillet 2010

Journée du CASSF le 5 mai 2010

Quel risque obstétrical pour les femmes en situation de précarité ?
Texte de l’intervention de l’Association nationale des sages femmes territoriales lors du colloque du CASSF du 5 mai 2010.
Brigitte PIERRON et Catherine MOREL

Définition de la précarité.
La précarité est l’état de ce qui est précaire, c’est à dire qui n’offre aucune garantie de durée, ce qui est incertain ou révocable. Elle peut concerner différents aspects de la vie notamment l’emploi, les ressources, la famille ou le logement.
Les personnes en situation de précarité sont : les chômeurs, les bénéficiaires du RSA et autres minima sociaux, les personnes SDF, hébergées, les familles monoparentales, les jeunes de 16 à 25 ans exclus du milieu scolaire. Les formes familiales ont aussi évoluées, moins de mariage, unions de moins en moins durables. Enfin le logement est un problème majeur pour de nombreuses personnes. Nous y reviendrons.

Les risques obstétricaux liés à la précarité.
Malgré les progrès réalisés dans le domaine périnatal, différentes études épidémiologiques récentes montrent que la précarité majore plusieurs risques obstétricaux. L’enquête nationale périnatale de 2003 montre que les femmes ayant des ressources précaires ont :
- une surveillance périnatale moins intense avec moins de consultations prénatales, ce qui peut conduire à des défauts de prise en charge
- elles ont moins de 7 consultations durant leur grossesse
- elles sont plus souvent hospitalisées (25,2% vs 17,9%)
- moindre recours au diagnostic prénatal (57,6 % vs 84%)
- elles accouchent plus souvent avant terme
- plus souvent d’enfants hypotrophes

Par rapport aux cadres, les ménages sans profession déclarée ont un risque de 50% supérieur d’accouchement prématuré, après ajustement sur les autres facteurs de risque.
L’augmentation du risque d’hypotrophie est encore plus prononcé : l’excès de risque atteint près de 100 % pour les ménages sans profession déclarée ; le risque d’hypotrophie est significativement plus élevé chez les femmes seules et les femmes non mariées en couple.

Dans l’enquête de 2010, les situations précaires seront mieux identifiées, avec des informations complémentaires sur le niveau de vie, la situation professionnelle et le logement, le renoncement au soin …
D’autres études internationales mettent en évidence pour les femmes en situation de précarité un risque majoré de :
- césarienne
- de mortalité périnatale
- de mortalité maternelle
Mais il est parfois difficile de différencier ce qui revient respectivement aux aspects éducationnels, financiers ou (et) culturels.
Enfin la précarité augmente le risque de naissance vivante d’enfant trisomique 21. Par rapport aux femmes cadres, le risque de naître trisomique 21 est augmenté par un facteur de 2,4 chez les femmes sans emploi .Ceci n’est que très partiellement en rapport avec la nationalité plus souvent étrangère des patientes sans emploi. 26,5% des femmes précaires n’ont pas réalisé le test car celui-ci ne leur a pas été proposé alors que la majorité a eu une déclaration de grossesse avant la fin du 1er trimestre. Les mauvais résultats du dépistage chez les femmes précaires semblent liés à une réduction de leur accès à des soins et à des explications insuffisantes ou inadaptées.

Quelques aspects de la précarité et les évolutions observées.

La pauvreté monétaire.
Selon l’Insee en 2007, 13,4% de la population française soit 8 millions de personnes vivaient en dessous du seuil de pauvreté de 910€ par mois.
La moitié de ses 8 millions de personnes vit avec moins de 740€ par mois.
36,4% des chômeurs vivent en dessous du seuil de pauvreté.
1.9 millions des personnes qui ont un emploi vivent en dessous du seuil de pauvreté.
La population des zones urbaines sensibles a un taux de pauvreté de 31,8%.
Les jeunes sont de loin la catégorie d’âge marquée par le plus fort taux de pauvreté. 21% des 18-24 ans vivent sous le seuil de pauvreté.
Les familles monoparentales, le plus souvent constituées d’une mère et de ses enfants, sont les plus touchées par la pauvreté. Un tiers des membres de ces familles (plus de 1.6 millions de personnes) sont pauvres.

RSA depuis le 1er janvier 2009
1 personne 460,09€ par mois
2 « 690,14€
3 personnes 828,17€

La précarité du logement
Le rapport annuel de la fondation Abbé Pierre de 2009 sur l’état du mal logement démontre ce problème majeur.
En France, un peu plus d’un million de personnes sont privées de domicile
100 000 en camping ou mobil home
150 000chez des tiers
50 000 chambres d’hôtel
41 000 »habitat de fortune » (cabane ou construction de fortune)

En 2001, selon l’INSEE
A Paris 35 % des SDF déclarent avoir une activité professionnelle, en province 26 %
Les femmes sont légèrement sur-représentées parmi les SDF avec un emploi.

L’accès aux soins
La précarité limite l’accès aux droits, à la prévention et aux soins.
Les étrangers, même lorsqu’ils pourraient avoir des droits pour une couverture sociale, ne la sollicitent pas jusqu’au jour où ils y sont contraints par la maladie ou la grossesse.
En 2005 une étude de Médecins du monde montre que 37 %des médecins refusent les soins aux bénéficiaires de l’AME.
En 2009 l’étude du collectif inter associatif sur la santé montre que 22 % (soit 1 sur 4 ) des spécialistes du secteur 2 refusent de soigner les patients bénéficiaires de la CMUC.
Toutes les vies n’auraient elles pas la même valeur ?

Evolutions observées et prévisibles liées à la crise.
Les ONG spécialisées dans la lutte contre la pauvreté sont inquiètes. Elles notent une aggravation des situations de pauvreté et l’extension des situations de pauvreté à une partie nouvelle de la population (par exemple : augmentation du nombre de repas distribués).
Le collectif « Alerte » qui réunit 37 associations nationales de lutte contre la pauvreté interpellait les pouvoirs publics en mai 2009. Il fustige la loi « Hôpital-Santé-Territoire » qui laisse pour compte les personnes les plus défavorisées qui sont aussi celles avec une santé précaire. Médecins du Monde voit un nouveau public dans ses accueils : ce sont des personnes qui sont juste au dessus du plafond de la CMU complémentaire.
Plafond de ressources en métropole pour avoir droit à la CMU complémentaire au 1er juillet 2009.
Annuel Mensuel
1 personne 7521€ 627€
2 personnes 11282€ 940€
3 personnes 13538€ 1128€
Plafond de ressources en métropole pour avoir droit à l’aide complémentaire santé.
Annuel Mensuel
1 personne 9025€ 752€
2 personnes 13538€ 1128€
3 personnes 16246€ 1354€
Cette aide à la mutuelle a un montant variable selon l’âge (de 100 à 500€ par an). Elle est de 200€ par an pour une personne entre 16 et 49 ans.
De plus, les délais pour ouvrir des droits sont parfois très longs que ce soit pour une couverture sociale, une CMUC ou une aide à la complémentaire santé.
Les associations demandent que le plafond de la CMU complémentaire soit relevé au niveau du seuil de pauvreté et dénoncent les reculs du gouvernement sur les dépassements d’honoraires ou sur les sanctions en cas de refus de soin à des personnes bénéficiant de la CMUC.
Les associations remarquent que de plus en plus de personnes renoncent à la mutuelle.
L’étude de l’OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques) prévoit une augmentation du nombre de personnes pauvres de l’ordre de 250 000 à 500 000 d’ici à 2012.
Nous n’aborderons pas les difficultés psychologiques qui sont nombreuses et dominées souvent par l’angoisse, le stress et l’isolement.

Les obstacles à une prise en charge précoce de qualité et comment y remédier.
Parmi les missions de la PMI un certain nombre concerne directement les femmes enceintes : les départements doivent mettre en place des consultations prénuptiales, prénatales, post natal et des actions de prévention médicosociale. Ces dispositif s’adressent à toutes les femmes enceintes, plus particulièrement aux plus vulnérables .Des actions d’accompagnement peuvent être proposées avec l’accord de la patiente à domicile ou en permanence.
En France actuellement le problème financier ne devrait pas être un frein au bon suivi de grossesse.
Or si les femmes n’ont pas les informations nécessaires elles ne font pas suivre leur grossesse pour des raisons financières
Le problème financier est majeur surtout au début de la grossesse puisque la grossesse n’est prise en charge à 100 % qu’à partir du 1er jour du 6ème mois (sauf pour les examens obligatoires). Mais il y a un décalage entre examens obligatoires et examens réalisés.
Exemple de bilan demandé en début de grossesse :
° Rubéole ° Toxoplasmose ° BW (Syphilis) ou TPHA/VDRL
° NFS ° Groupe Rhésus ° Hépatites B et C
° CMV ° TP, TCA, Fibrinogène ° HTLV1 (si allaitement maternel)
°HIV ° Electrophorèse hémoglobine (Méditerranée, Asie, Afrique)
Pour ce bilan 90€ restent à la charge des femmes qui n’ont pas de mutuelle.
A ce bilan sanguin s’ajoute une échographie dont le ticket modérateur est de 20€.
Pour les femmes qui n’ont pas de droit ouvert (sécurité sociale, AME, CMUC) ou pas de mutuelle l’avance des frais est un frein très important.
Elles doivent être informées des possibilités de prise en charge gratuites notamment dans les centres de PMI, les PASS( permanences d’accès aux soins de santé), certaines associations (Médecins du monde).La PMI assure des consultations gratuites, prend en charge les examens complémentaires (bilan sanguin, échographie..) Cette information passe par l’entourage mais doit aussi être véhiculé par les associations (115, Resto du cœur, les interprètes …)
et les institutions (travailleurs sociaux, TISF, interprète, médiateur…) qui doivent être informées en permanence de ces possibilités .Le travail auprès des associations est à renouveler en permanence car les bénévoles changent souvent.

Problème des inscriptions en maternité publique.
Il faut offrir un accueil adapté aux plus démunis c'est-à-dire ouvert, souple, avec des circuits simples et compréhensibles.
Se présentant tardivement à l’hôpital ces femmes risquent de ne plus avoir de place et de devoir se tourner vers des maternités privées avec des surcoûts .Si le travail en réseau est efficace on trouvera une place en maternité publique correspondant au niveau de risque .Certains réseau se sont dotés d’une SF coordinatrice qui facilite l’inscription et s’assure de la mise en route d’une prise en charge sociale, de l’ouverture d’une couverture sociale et d’un accompagnement psychologique si nécessaire .

Parfois le seul moyen d’amener les femmes (par exemple les gens du voyage) vers les structures de droit commun est d’aller vers elles, chez elles afin de les mettre en confiance et de leur expliquer l’importance du suivi.
Mais comme l’écrivait le professeur Mahieu-Caputo 2 idées fausses doivent être combattues :
*le parcours de soin des femmes enceintes en situation de précarité n’est pas lié à des souhaits différents des femmes qui expriment clairement des souhaits comparables à la population générale en termes de santé de l’enfant, d’investissement de la grossesse.
*l’hôpital n’est pas l’acteur exclusif de ce suivi, même si cela fait partie de ses missions.les femmes en difficulté consultent dans le privé également (perçu par certaines femmes comme moins stigmatisant, même moins dangereux quand sans papier)

Certaines mutations mettent en difficulté les personnes les plus démunies.
La mise en place de serveurs vocaux qui dépersonnalisent la relation aux institutions et rend plus difficile leur accès.
Le développement d’internet qui exclue ceux qui n’ont pas les moyens de disposer de cet outil. Exemple pour s’inscrire en maternité ou pour prendre rendez-vous.

L’attitude des femmes.
Dans leur grande majorité les femmes en situation de précarité ne parlent pas spontanément de leurs difficultés .Sachant les répercutions de la précarité sur la grossesse il est important que nous dépistions ces difficultés à l’occasion de l’entretien prénatal précoce, des consultations programmées ou en urgence, des hospitalisations .Pour qu’un climat de confiance puisse se créer il est important que la femme voit la même sage femme ou le même médecin lors des consultations.
Des indices peuvent nous alerter tels que : l’hébergement, l’hôtel, une domiciliation, le chômage, le type de ressources, la monoparentalité etc .le fait de rater souvent des RV ou d’arriver en retard.
Les préoccupations vitales passent avant le suivi de la grossesse. La consultation n’est pas prioritaire par rapport à un rendez-vous à la préfecture ou aux Resto du Cœur par exemple. Parfois elles n’ont pas d’argent pour prendre les transports (problème majoré en province) ou elles craignent les contrôles d’identité. Il est donc très important que nous fassions preuve de beaucoup de souplesse, que nous ayons une attitude empathique, si nous voulons qu’il n’y ait pas de rupture dans le suivi.
L’hébergement
C’est un problème crucial qui obère la capacité de certaines femmes à se soigner. L’hébergement est souvent instable. D’autre part il y a un manque de place dans les foyers d’urgences et les foyers maternels. Ceci entraine plus d’hospitalisation souvent mal vécue.


Les dispositifs.
L’action médico-sociale doit être coordonnée dans le cadre des réseaux de périnatalité.
Réseau SOLIPAM(PARIS) expérience innovante dont l’objet est de mettre autour de la table les hébergeurs sociaux( Samu social, Emmaüs…) et les acteurs médicaux pour vaincre les différents obstacles à une prise en charge optimale pour les femmes enceintes de Paris, les plus précaires, isolées, sans domicile fixe, sans revenu. Des protocoles de prise en charge ont été définis, au départ des hébergements, pour que toute femme enceinte soit rapidement adressée à une des maternités partenaires. Afin de faciliter le contact entre la femme et la maternité la SF coordinatrice de SOLIPAM se déplace sur le site de l’hébergement. Elle s’assure de la continuité du suivi. De plus l’hébergement est stabilisé à l’approche de l’accouchement près de la maternité. Il est également prévu pour l’après accouchement pour éviter des hospitalisations injustifiées et commencer le suivi post natal pour l’enfant et la mère. Importance de la visite post natale et d’une éventuelle contraception.
Sensibiliser les mères à l’importance du suivi médical préventif de l’enfant.
En temps que sage femme nous devons y être particulièrement attentives.

Les Staff Médico-Psycho-Sociaux ou Staff de Parentalité…
La population des femmes en situation d’exclusion sociale nécessite l’implication concertée de tous les acteurs médico-psycho- sociaux, tant pour la qualité du suivi de la grossesse, que la prévention des difficultés dans l’instauration des relations parents-bébé.
Le but est d’assurer une continuité des soins vis-à-vis de la patiente, d’une part entre les différents intervenants, d’autre part dans les différents temps de la grossesse, de l’accouchement et des suites de couches. Assurer des liaisons suffisamment précoces pour la mise en place de solutions.
Ceci se fait après discussion avec la patiente afin d’obtenir son adhésion pour cette prise en charge par le réseau.

L’entretien prénatal précoce.
Doit être proposé à tous les couples ou femmes.
Réalisé par une sage femme ou un médecin formé et notamment susceptible d’activer un réseau.
C’est pendant la grossesse qu’il faut écouter, sensibiliser, organiser, coordonner, créer des liens sécurisants et ce, dans la continuité. Cette continuité est le mot clé de la réussite, comme la sage femme est l’acteur central, le pilote, l’animateur du réseau.
L’EPP est un très bon outil mais trop peu développé faute de moyens.


Conclusion.

Les femmes en situation de précarité présentent des risques qu’il est important de prévenir par une prise en charge médicale et un soutien adaptés. Actuellement la situation économique s’aggrave. Le nombre de femmes enceintes précaires augmente et le système social risque de moins bien compenser qu’avant les effets de la dégradation. Des dispositifs qui aidaient les femmes sont supprimés (suppression par la CAF d’actions collectives en direction des femmes pour une sensibilisation à l’accueil des nouveaux nés et à l’organisation de la vie familiale, diminution du financement des actions d’insertion, etc…)

Devant ce constat les sages femmes doivent se mobiliser.

Grossesse + précarité = urgence obstétricale
Mme le professeur Mahieu-Caputo

Journée du CASSF le 5 mai 2010

Brigitte PIERRON et Catherine MOREL, membres du CA de l'ANSFT ont présenté le sujet sur la précarité.